Pour 99,9% des personnes, le nom de Barry Diller ne résonnera absolument pas. Âgé de 83 ans aujourd'hui, il vient de publier ses mémoires aux Etats-Unis, intitulées Who Knew. Et c'est peu dire que Diller a pesé lourd dans l'industrie du cinéma. À 32 ans, en 1974, il fut nommé président du directoire de Paramount Pictures, et sera à la tête du studio pendant dix ans.
C'est sous sa direction que le studio produit de grands succès de la télévision comme Cheers (1982), ainsi que des films comme Les Trois jours du Condor (1975), La Fièvre du samedi soir (1977), Grease (1978), Les Aventuriers de l'arche perdue (1981) et sa suite Indiana Jones et le Temple maudit (1984), Tendres Passions (1983), Le Flic de Beverly Hills (1984)...
"John Travolta est un problème..."
Le New York Post vient de publier quelques (courts) extraits de ses mémoires, révélant de savoureuses anecdotes sur quelques films, dont La Fièvre du samedi soir. Lors de l'avant-première du film, qui s'est tenue au fameux cinéma Chinese Theater à Los Angeles, un publicist est venu le voir en lui glissant à l'oreille : "John Travolta est un problème. C'est un gars de la télévision. Vous ne mettez pas quelqu'un de la télévision dans un film. Le gamin ne va pas remplir les fauteuils". Aimable commentaire, à une époque où la télévision et le cinéma étaient encore bien cloisonnés et se snobaient allègrement...
Le film est sorti dans tout le pays deux semaines plus tard, devenant du jour au lendemain un immense succès. "Il y avait d'immenses files d'attente dans tous les cinémas d'Amérique", écrit Diller. La Paramount, qui était tombée à une lointaine cinquième place parmi les grands studios après l'arrivée de Diller, est redevenue numéro un.

"La fièvre du samedi soir a changé la façon dont les films sont faits" raconte Diller, qui rappelle que le scénario n'a pas été présenté comme un projet destiné à une vedette préétablie. "Pas de stars, pas de pedigree, pas de package, rien - juste une bonne idée". Même le réalisateur John Badham, venu de l'univers de la télévision et qui n'avait pas encore fait ses preuves, représentait un risque.
Diller reconnait ne pas avoir toujours eu le nez creux. Comme pour Grease, qu'il trouvait absolument catastrophique et qu'il ne voyait pas John Travolta dedans, malgré le succès de La Fièvre du samedi soir. Au point même de pousser l'acteur à accepter le rôle d'American Gigolo. Mais Travolta a tenu bon, et le rôle principal du film de Paul Schrader est allé à Richard Gere. Là aussi, Grease sera un succès massif pour le studio.
"Il faudra attendre vingt ans avant qu'il ne réalise un autre film"
Une autre anecdote sympathique est livrée, cette fois-ci à propos de Terrence Malick. Le studio Paramount était derrière la production de ses Moissons du ciel; un pur chef-d'oeuvre loué par la critique. Dans le sillage de la sortie du film, en 1978, Barry Diller lâcha au cinéaste un salaire mirobolant de 500.000 $ (soit l'équivalent de 2,5 millions $ aujourd'hui), afin qu'il puisse "juste expérimenter des choses". Une vraie carte blanche.
Mais Diller s'en est mordu les doigts. Tous les quatre ou cinq mois, il appelait le réalisateur pour lui demander des nouvelles, et n'obtenait pas autre chose qu'un vague "je progresse". De temps en temps, Malick lui donnait une vague idée de son prochain film, comme "J'ai l'idée de suivre un paraplégique au Nouveau-Mexique dans une course à pied", en se gardant bien de donner le moindre détail, expliquant qu'il s'agissait d'un "secret". Lunaire... Excédé, Diller a fini par lui couper les vivres. "il faudra attendre vingt ans avant qu'il ne réalise un autre film" écrit Diller. Le nom du film ? Une certaine Ligne rouge...